jeudi 8 juin 2017

La société indienne

     Dernier article - enfin - sur l'Inde. Après 150 jours de voyage dans ce pays, voici ce qui m'a marqué sur la société indienne.

LES MARIAGES ET LA FAMILLE

     Après "Where do you come from ?", "Are you married ?" est souvent la deuxième question posé par les Indiens. On comprend assez vite l'importance que le mariage a pour eux. Lorsque j'annonce que je ne suis pas marié et que je n'ai pas de copine, on me demande tout de même quand je compte me marier. Les premières fois cela laisse perplexe, "mais avec qui donc veux-tu que je me marie puisque je n'ai pas de copine???" En Inde, pas besoin de copine pour se marier, les mariages sont encore aujourd'hui, des mariages organisés. Ce sont les familles qui s'occupent de trouver le / la conjoint(e). 

     Une fois, les deux familles rencontrées, la question de la dote se pose très vite. La famille de la future mariée doit payer pour le mariage et offrir tout un tas de cadeaux. Je n’ai pas assisté à un mariage mais j’ai discuté de la question avec beaucoup d’Indiens. Un chauffeur de poids lourds me dira que pour le mariage de sa fille, il a dépensé 700 000 Roupies (9300 €.) Son salaire est de 10 000 roupies par mois (130 €.) soit 70 mois de salaire pour le mariage de sa fille. Cela me parait à moi complètement absurde, mais pour lui rien de plus normal.

     Aujourd’hui, encore 90 % des mariages sont organisés, les 10 % restants, sont des mariages d’amour, comme il les appelle. Ceux qui osent pratiquer ces mariages sont souvent « bannis » de leurs familles. J’ai demandé à un jeune comment être sûr que sa future femme lui plaira et qu’il s’entendra avec elle lorsque c'est un mariage arrangé : 
« Chez nous, on fait, avant le mariage, un grand feu  sacré et on en fait 7 fois le tour. C’est une tradition et ainsi on est sûr que notre femme nous plaira. »

Représentation dans un temple à Calcutta
      Après le mariage, la femme part vivre avec sa belle-famille et se retrouve du jour au lendemain entouré de gens qu’elle ne connaissait pas. Une fois, la famille fondée, le but est d’avoir des enfants. J’ai été réellement stupéfait de voir à quel point, la famille avait une importance fondamentale en Inde. Les familles sont vraiment soudées alors qu’à la base les jeunes mariés ne se connaissaient pas. Le taux de divorce est pourtant, comparé à la France, très faible. Plusieurs jeunes m’ont dit :

« Tu sais même si je voulais voyager comme toi je ne pourrais jamais. Sais-tu pourquoi ? Car ma mère ne me laisserait jamais partir. »


« Choisir quelqu’un sans allure, sans argent, sans perspective. Certains fiancés offrent des bagues en diamant. D’autres une montre en or, ou du moins une petite broche. Et le tien, qu’est-ce qu’il apporte ? Un foutu parapluie ! Quand je pense à tout ce temps que j’ai perdu, à toute cette énergie que j’ai dépensée pour te présenter des comptables, des superintendants de police, des ingénieurs. Tous de familles respectables. Comment vais-je garder la tête haute quand on saura que ma sœur a épousé un obscur préparateur en pharmacie ? N’espère pas me voir heureux, ni que j’assiste au mariage. Pour moi, ce sera un jour sombre, très sombre. »
L’équilibre du monde, Rohinton Mistry

L’INDE, UN PAYS D’HOMMES

     L’Inde est clairement ce qu’on appelle un pays d’homme. En 5 mois dans ce pays, le nombre de femmes à qui j’ai parlé est minime. A tout moment de la journée on est interpellé, mais uniquement par des hommes. En fait, la place de la femme est à la maison, à s’occuper des enfants, faire la lessive… La société indienne est très – trop – patriarcale à mon goût. Lorsque l’on est invité dans une famille, la femme se met toujours en retrait pour laisser la place aux hommes. Il y a aussi une distance, comme un code de conduite, une règle de société qui veut qu’une femme n’aborde pas un homme.

Dans un café, encore et toujours des Hommes

     Il y a tout de même des exceptions : je me ferais inviter à manger par une femme et ses 3 filles après qu’elles m’aient vu marcher en plein soleil et remplir ma bouteille d’eau à une pompe.

La mère versera même sa larme en leur disant au revoir alors que je ne suis resté que 2h.

     J’aurais aussi l’occasion de discuter avec une charmante et jolie Indienne dans un bar branché de Bombay… avant que son copain me menace de me taper dessus si je continue à lui parler.

LES CASTES

« Dans le village, et dans leur famille, on était cordonnier de père en fils ; c’est-à-dire qu’ils appartenaient à la caste Chamaar, celle des tanneurs et travailleurs du cuir. Mais voilà très longtemps, bien avant la naissance d’Omprakash, alors que son père Narayan, et son oncle, Ishvar, étaient encore de jeunes garçons de 10 et 12 ans, leur père les avait envoyés apprendre la couture.
Les amis de leur père prirent peur pour la famille. « Dukhi Mochi est devenu fou, se lamentèrent-ils. Les yeux grands ouverts, il attire le désastre sur sa maisonnée. » Et la consternation fut générale dans tout le village : quelqu’un avait osé briser la chaîne immémoriale de la caste, la contrepartie n’allait pas tarder. »
L’équilibre du monde, Rohinton Mistry


     Même bannis depuis plusieurs décennies, le système des castes subsiste toujours. Cela n’a cependant pas été si évident que cela pour moi de m’en apercevoir. On remarque des règles de société quand les Indiens de différents milieux sociaux interagissent ensemble, mais de là à dire que cela est dû aux castes n’est simple. On me parlera à plusieurs reprises des castes, surtout les hautes castes, fières de leur rang me montrant que cela a de l’importance pour eux.

     La première fois que l’on me parlera des castes, ce fut avec une certaine violence. Après un trajet en train pour sortir de Delhi, la capitale surpeuplée de l’Inde, je marche pour trouver un endroit où camper dans la campagne de l’Uttar Pradesh. Je me rends dans un premier village où j’explique à des hommes – toujours des hommes – que je cherche un endroit où planter la tente. Les villageois ne se montrent pas très coopératifs (le discours ordinaires : « c’est impossible, c’est trop dangereux, il y a des serpents, il y a des singes, il y a des tigres, tu vas te faire attaquer par des voyous, tu vas mourir… ») Je décide de tenter ma chance dans un autre village. En chemin, une moto s’arrête et la personne, après quelques minutes de discussion, se propose de m’héberger. Il m’emmène dans son village et me demande de patienter à l’ombre d’un arbre. Il rentre chez lui pour préparer ma venue. Pendant ce temps, des amis de mon hôte essayent de discuter avec moi. Sans grand succès, aucun d’entre eux ne parle anglais. Lassés, ils conversent entre eux de ma venue, le premier étranger depuis très longtemps dans leur village.

     Alors que je suis dans mon coin à l’ombre de mon arbre, une nouvelle personne fait son apparition. Lui parle bien anglais, et me demande ce que je fais ici. Je lui explique que j’attends quelqu’un qui doit m’héberger, il me demande de le suivre. Je ne comprends pas tout, mais sur l’instant je pense que c’est un ami de celui chez qui je dois dormir. Je lui fais donc confiance et grimpe sur la moto. Les villageois ne voient pas cela du même œil. Ils entourent la moto et une dispute éclate avec le motard. Un des villageois me demande de descendre de la moto. Je ne sais pas trop quoi faire mais finalement je reste sur la moto et nous démarrons.

     Je suis un peu perdu à ce moment, ne comprenant pas ce qui vient de se passer, pourquoi une dispute, et ne sachant même pas où nous allons. Mon compagnon m’explique qu’il m’emmène chez lui, où je pourrais dormir en sécurité :

     « Les villageois avec qui tu étais sont des gens de basse caste, ils ne sont pas éduqués, ce sont des menteurs, ils auraient pu te voler tes affaires. Tu n’es pas en sécurité avec eux. »


     Je comprends qu’il n’est pas ami avec la première personne qui devait m’héberger. Je me sens un peu mal pour elle de l’avoir abandonné, mais plus possible de faire demi-tour. Je ne relève pas les propos sur les basses castes, même si je suis choqué par ce que j’ai entendu.

     Je serais logé chez les parents du jeune homme et toute la famille m’accueille avec bonheur. Malheureusement, les propos tenus par le fils ne sont rien en comparaison au discours du père. Pendant une partie de la soirée, j’aurais droit à l’éloge de l’éducation et de la richesse des hautes castes, et à la critique acerbe des basses castes, leur pauvreté et leur stupidité. Eux, les hautes castes, habitent un quartier riche et ont la climatisation, alors que les autres villageois habitent un quartier miteux. Non décidément, heureusement que je les ai rencontrés, ils m’ont sauvé la vie.

Travaux des champs

     J’explique évidemment à mon hôte que pour ma part, je ne juge pas les gens sur leur caste, richesse ou éducation. Mais pour rajouter un peu d’aigreur aux discours du père et du fils, les « basses castes » ont décidés de ne pas abandonner la partie aussi facilement et trois villageois se sont proposés pour aller venir chercher dans ma famille d’accueil et me ramener chez la première personne rencontrée. Je décide de rester là où je suis, la famille m’a déjà donné un lit et nous avons déjà mangé. Je m’excuse donc auprès des trois villageois venus me chercher. Finalement, cela finit au poste car il faut se déclarer auprès de la police pour dormir chez l’habitant, ce que je n’avais jamais fait jusqu’alors. Mais aujourd’hui les trois jeunes menacent de nous dénoncer à la police si nous ne nous plions pas aux lois. Nous passerons une heure – principalement à attendre – devant des policiers dont notre cas intéresse peu, avant de retourner dans la famille et dormir… sous la clim’.

     Le lendemain matin, le père me fait visiter la briqueterie familiale, source de leur richesse. Pour cela, la famille emploie plusieurs dizaines d’ouvriers, probablement des Intouchables, les plus basses castes. Ils vivent sur place, chaque famille ayant une maisonnette d’une dizaine de m² avec un toit en tôle. Les femmes et les hommes travaillent en plein soleil sous plus de 40°C. Certains enfants sont aussi mis à contribution pour faire gagner quelques Roupies de plus et ainsi pouvoir acheter des légumes pour accompagner le riz, aliment de tous les repas.

     Je ne suis pas resté suffisamment longtemps sur place pour juger ou me faire une réelle idée de la situation. Toujours est-il que le fait d’être reçu comme un Roi par cette famille qui, dans le même temps fait preuve d’un racisme profond envers un groupe de personnes qu’ils jugent inférieur, m’attriste, me gêne et me choque énormément.
Transport de paille en campagne


     On me posa plusieurs fois la question de ma caste, mais il a toujours eu un autre Indien pour expliquer qu’en tant qu’Occidental, je n’en avais pas. En revanche, mon dernier couchsurfeur m’appris quelque chose d’intéressant. La question que tous les Indiens posent : « Where are you from ? » (D’où viens-tu ? ») n’est pas si anodine.

« Les gens ne peuvent pas te juger sur ta caste comme ils le font pour un Indien, car tu n‘en as pas. Savoir de quel pays tu viens permet de te classer dans une certaine catégorie. »

     Lorsque l’on est Français on est dans la bonne catégorie. En revanche, les étudiants africains sont victimes de racisme et cela de manière parfois violente. Lors de mon passage à Delhi, je suis tombé sur un journal relatant le meurtre d’un de ces étudiants. Cela n’est pas chose rare en Inde. Ils sont souvent injuriés, agressés, accusés à tort d’agressions sexuelles dans les métros et ainsi pourchassés. Le jugement par les castes, et dans ce cas, l’origine, qui subsiste dans la société indiennes et l’éducation des enfants y sont pour beaucoup. La couleur de peau est un autre facteur. Les personnes de teints foncés en Inde, sont souvent ceux qui travaillent dans les champs ou font des travaux manuels, c’est-à-dire les plus pauvres, les basses castes.

LA RELIGION

     « What is your religion? » est la dernière des trois questions qui régit les premières minutes d’une rencontre avec un Indiens. Ma réponse varie selon mon humeur. Parfois je réponds que je suis athéiste, mais par expérience je sais que cela est susceptible d’engendrer tout un tas de questions. L’Inde est justement le genre de pays où l’athéisme est contre-nature, une bizarrerie de l’homme occidental. « Tout le monde sait que Dieu existe. » Tel fut la réponse de la première personne à qui j’ai révélé mon anomalie. Pour éviter de rentrer dans de longs discours de mes interlocuteurs se sentant chargés de me remettre dans le droit chemin,  je réponds parfois que je suis catholique. « Moi aussi » me disent certains avec un grand sourire. Comme si cela me rapprochait plus de cette personne que d’un Hindou. Je n’ai rien contre les religions mais le fait que l’on régisse sa vie sur celles-ci me dépasse. Trop nombreuses furent les discussions sur la religion à mon goût. 

Bain dans le Gange sacré

     Après cinq mois en Inde, je dois bien dire que j’apprécie notre laïcité française et le fait que religion et gouvernement soient strictement séparés. Ce n’est pas le cas en Inde. Narendra Modi, actuel président de l'Inde est du parti BJP, qui est de droite nationaliste hindoue. La dernière polémique en date mélangeant religion et politique concerne l'abattage de vaches. Animal sacré dans la religion hindoue, le statut de l'animal s'est durci dans beaucoup d'Etats dirigé par le BJP, à tel point que certains rêvent d'une interdiction à l'échelle nationale. 

     Tout est bon pour récolté des voix. Les politiciens du BJP ont rempotés la victoire lors des élections grâce aux tensions entre Musulmans et Hindous. En cause notamment, le "Love jiahd". Plus fantasme que réalité, ce phénomène consisterait à la séduction de jeunes femmes hindoues par des musulmans, qui les convertiraient ensuite à leur religion. Discriminer les minorités et attiser les tensions pour être élu par la majorité, cela me dépasse.

"Déclarer vos revenus" nous dit Narendra Modi, président de l'Inde (Portrait à gauche.)

     L’Inde est ainsi le pays le plus divers que j’ai visité. Il n’est donc pas évident de faire des généralités. Mais c’est aussi pour cette raison que l’on peut voyager dans ce pays sans s’ennuyer pendant des mois. J’ai pu dormir chez l’habitant grâce au CouchSurfing et me faire une idée de la façon de vivre des gens. En campagne, il est plus difficile de dormir chez l’habitant, mais j’ai tout de même eu quelques expériences intéressantes pouvant me donner un aperçu différent du pays en comparaison aux grandes villes.

     Il n’est pas toujours facile de voyager en Inde. Le bruit, la surpopulation dans certains Etats, la curiosité qui pour un Occidental fait paraître les Indiens pour de gens sans-gêne, la poussière sur les bords de route. Ces conditions difficiles et la fatigue mettront mes nerfs à rude épreuve pour ne pas m’énerver après certains Indiens trop curieux.

     Je reviendrais pour sûr dans ce pays car j’ai l’impression plus que dans n’importe quel autre pays (excepté peut-être la Chine) que je suis passé à côté de beaucoup de choses. Les montagnes du Cachemire, celles du Sikkhim, ainsi que l’Inde du Nord-Est que je n’ai fait que traverser sont parmi les lieux que je souhaiterais visiter.

     Après avoir fait le tour de l’Inde, le plan était justement de passer à nouveau par l’Inde du Nord-Est, puis Birmanie. Cependant, à Calcutta il me fut impossible d’obtenir mon visa et le permis pour traverser la frontière Inde – Birmanie ne pouvait être obtenu à cette période. J’ai dû donc me résoudre à prendre l’avion pour la première fois. Je décolle de Calcutta pour Bangkok où j’avais mis les pieds pour la première fois 7 mois et demi plus tôt.

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